“J’ai ce truc créatif qui a poussé là, chez moi.”

Clémence Dumont est la Directrice Artistique de Simrane, la marque de textiles aux imprimés colorés que vous connaissez surement ! Retour sur son parcours, ses inspirations et ses voyages en Inde, bien sûr.

En quoi consiste ton métier chez Simrane ?

Clémence Dumont : Je fais de la direction artistique. Le rôle de la DA, c’est de raconter l’histoire de la marque, de manière visuelle et sensorielle. Je fais tout le stylisme, le set design… J’ai un panel d'intervention très large, qui va de la création de la collection, des dessins, des couleurs jusqu’au choix et la relation avec les artisans avec lesquels on travaille.

Tu as toujours su que tu voulais exercer un métier créatif ? 

Oui, depuis que je suis toute petite, je savais que c’était ça. J’ai toujours dessiné, toujours peint, brodé. Je me vois encore coloriant des cailloux, faisant des collages. Mes premiers souvenirs créatifs datent de mes séjours dans la maison de mes grands-parents. C’était une maison un peu mystérieuse, au fin fond de la Savoie, dans laquelle les vieux objets grouillaient. C'étaient des étés infinis, où l’on fouillait partout, on ouvrait la moindre porte ou placard et on trouvait des vieilles chaussures du XIXe. Je me souviens qu’à l’époque déjà, ça m’inspirait. J’ai toujours eu cet émerveillement, devant les matières et les histoires : c’est mon compagnon de route. J’ai ce truc créatif qui a poussé là, chez moi. J’ai l’impression d’avoir toujours baigné là dedans alors que mes frères et sœurs pas du tout. 

Block print

Quel a été ton parcours pour en faire un métier ?

J’ai fait Duperré quand j’avais 17 ans. C'était une évidence. C’est une école spécialiste du textile, parfaite pour moi qui aimais la broderie, la matière. Celle qui fait du bruit, qui brille, qui envoûte. 

C’était des années très inspirantes. Je suis arrivée à Duperré, telle une petite oie blanche venue d’un milieu assez privilégié, bourgeois. Ça a été un soulagement de m’ouvrir à d’autres univers, de choisir ma voie, de rentrer dans cette école où j’ai rencontré mes meilleurs amis. Ça a été un raz-de-marée d’inspirations, une avalanche de créations. J’ai rencontré des professeurs à qui je pense encore très régulièrement. Mes études ont duré 8 ans, car j’adore apprendre.


Qu’est-ce que tu as retenu de tes professeurs ?

Une professeure d’expression plastique nous disait de ne jamais repartir d’une exposition sans acheter le catalogue : “ou si vous n’avez pas d’argent, achetez les suppléments des Beaux-Arts !” précisait-elle. Mais les suppléments coûtaient quand même 10€, alors je prenais les éphémères. J’ai gardé l’intégralité de tous les éphémères (les leaflets), de toutes les expositions que j’ai vues, de toute ma vie. Cette prof’ disait qu’il fallait toujours garder la trace de ce qu’on a vu, car ces références étaient la chose la plus précieuse qu’on avait dans notre tête et dans notre cœur, en tant que créatifs. 

Une autre professeure nous disait : “Ne passez jamais une journée sans avoir lu, vu ou écouté quelque chose que vous ne connaissiez pas la veille”. Ça m’a parlé, car je suis curieuse de tout. Je lis trois livres à la fois, j’écoute un podcast, je découvre un artiste, un artisanat, je visite un pays, n’importe quoi, je suis complètement mordue, j’ai trop de livres à lire en attente ! Mes profs m’ont dit de ne jamais perdre ce plaisir d’apprendre, cette curiosité. Ça me guide vraiment tout le temps. 

Qu’as-tu fait après Duperré ?

Je suis allée à La Cambre, en stylisme, à Bruxelles. J’ai fait des rencontres incroyables. On travaillait jusqu’ à 5 heures du matin chez les uns et les autres, avec quatre machines à coudre. Il y avait une certaine frénésie, une ébullition créative qui nous portait. Une fois de plus, ça m’ouvrait à tout un monde, moi qui avais un côté très sage, rat de bibliothèque, un peu timide. En revanche, c’est à cette époque que je me suis rendue compte que le style, le côté modélisme, confection d’un vêtement ne me correspondait pas trop. J’ai donc rejoint le Diplôme supérieur d’art appliqué de Duperré (DSAA), option mode et environnement avec Pierre Hardy. J’ai adoré. On apprenait à élaborer un message créatif, à raconter une histoire. Il y avait toujours cette expérimentation qui me passionnait.

J’ai fait mon mémoire sur le corps circuité : je travaillais sur l’épuisement du corps par rapport au textile. J’ai planché sur les mini-miss, le body building, la pornographie. Sur toutes les figures corporelles, sur comment on pouvait les traduire par le médium textile et le geste. J’adorais le contraste entre mon côté BCBG et le fait de broder des scènes de sexe et des gars bodybuildés au point de croix. 

Après cette expérience, tu as décidé de faire l’Institut Français de la Mode, puis 10 ans dans le développement et le marketing de produits de luxe chez Vuitton et chez Chloé. Pourquoi être passée par le marketing ?

Je sentais qu’il me manquait une compétence. J’avais envie de savoir comment les produits se vendaient. C’est d’ailleurs sans doute pour ça que je n’avais pas fait les Beaux-arts mais les Arts appliqués. Les arts appliqués, ce sont des arts qui s’appliquent à une fonction. Les objets qui nous entourent résultent tous d’une technique : du moulage de ton Tupperware à l’assemblage de ta chaise ou de ta commode. C’est ça qui me passionne. Cette technicité. Comment fait-on pour sculpter, tailler, modeler, broder ?

Grâce à mes dix années d'expérience dans ces deux grandes maisons, j’ai aujourd’hui une double casquette créative et marketing, commerciale, merchandising. Ce qui me permet de répondre à des demandes de clients très variés. 

Tu as rejoint Simrane à un moment où tu souhaitais renouer avec ta créativité. Tu y as découvert le block print.

Je suis arrivée chez Simrane lorsque la marque artisanale venait d’être reprise par Adrien, le fils du fondateur. Et là, on peut le dire : je suis tombée dans la marmite du block print. Je me suis très vite renseignée sur cet artisanat. C’est un sujet infini et passionnant dans lequel je me suis plongée sans réserve.

Le block print, ce n’est pas seulement un tissu. C’est des milliers d’années d’histoire autour d’un artisanat. Ce sont les routes maritimes, les échanges commerciaux. C’est comment les moines français auraient volé les secrets du ver à soie auprès de la princesse chinoise. C’est aussi une histoire sombre d’envahissement, de colonialisme, d’appropriation de ressources et d’artisanat. J’ai lu énormément de livres sur le sujet, c’est passionnant. 

C’est à ce moment-là que je me suis rendue compte que si je n’avais pas été créative, j’aurais été historienne. L'histoire éclaire tout mon travail chez Simrane : je ne suis jamais plus heureuse que quand je vais à la bibliothèque des Arts Déco et que je vais farfouiller sur les motifs perses du IIe siècle après JC. 

En Inde, j’ai découvert un territoire d’une richesse incroyable. C’est, encore aujourd’hui, une énorme claque sensorielle, visuelle, artistique, humaine. Là- bas, je travaille avec une dame de 84 ans, spécialiste du kalamkari, un art textile traditionnel qui vient de Polavaram un petit village de la côte ouest de l’Inde. Kalam = plume ou stylo. Et kari = travail. De ce même village est partie toute une collection qui a inondé le marché mondial il y a 500 ans. 

On travaille aussi avec Anokhi depuis 1968. Ce sont des acteurs mythiques du blockprint puisqu’ils ont sauvé cet art dans les années 70 quand il commençait à disparaître. 

En fait, travailler chez Simrane m’a reconnectée avec les objets que je trouvais chez mes grands-parents : les indiennes matelassées, le boutis provençal, l’histoire du matelassage, de la surpiqure… 

Alors, qu’est-ce que le block print exactement ? 

Le block print, c’est une technique millénaire d’impression au bloc. Les blocs sont sculptés et taillés par des artisans graveurs. Puis l’artisan imprimeur imprime les motifs. Il faut savoir qu’un bloc = une couleur. Si tu as 12 couleurs = 12 blocs. Les blocs sont stockés, parfois perdus, parfois prêtés. C’est tout un voyage !

Block print en Inde

Quand je crée un motif, tout est possible. Par définition, un bloc, c’est comme un conte oral que tu racontes au coin du feu et qui s’enrichit en passant de village en village. C’est comme un dessin qui part, qui est exploité dans une autre région et que tu retrouves plus tard avec le même motif, mais avec des variantes. Il n'appartient à personne, il est dans le temps. 

À l'heure du digital, j’aime le fait que mon travail soit ancré dans la matérialité. Avec les morceaux de bois, il y a ce côté inspecteur gadget et cet apprentissage continu, cette créativité infinie. J’aime aussi le fait que dans l'artisanat, il y a la contrainte. Et je trouve qu'aujourd'hui, la contrainte peut sauver notre monde. Si on acceptait un peu plus qu’on ne pouvait pas tout faire, le monde tournerait plus rond. Le propre de l’artisanat, c’est que tu as une contrainte formelle et de cette contrainte naissent des choses magnifiques.

Voici une photo de la collection Printemps de l’année dernière. Peux-tu nous expliquer ce que les motifs racontent ?

Collection Simrane

Je me suis inspirée de différents types de motifs que l’on pouvait trouver en Europe au XIXe, qui étaient à chaque fois des relectures de l’héritage indien. L’inspiration pour les motifs bleu ciel et vert en bas à droite sont les imprimés de Manchester, de Grande Bretagne à l’époque. En bas à gauche, en violet ou blanc, c’est une inspiration d’un papier dominoté, probablement du Sud de la France. Et l’inspiration de celui en haut à gauche, rose et vert, vient d’un papier peint italien du XIXe. Ce qui m’inspire à chaque fois, c’est l’histoire des arts décoratifs. Ce n’est pas forcément lié au textile directement, mais plutôt à différents supports sur lesquels on pouvait appliquer un ornement.

Comment t’inspires-tu ?

Tout m’inspire. Je collectionne des pièces de tissus, des boutis, des bouts de tissus achetés en vente. Je pioche dans mes bouquins, à la bibliothèque, chez les librairies, les antiquaires en Inde, dans les archives des imprimeurs. Je passe des nuits entières sur leboncoin à chercher des tissus, des pièces incroyables. Souvent les gens ne savent pas ce qu’ils ont, ce qu’ils vendent. Récemment, j’ai trouvé une pièce d’Oberkampf, une toile de Jouy. Elle était dans le grenier d’une dame depuis 45 ans.  

Quels sont les quelques ouvrages qui t’accompagnent et que tu conseillerais à quelqu’un qui s’intéresse à l’artisanat textile ?

Merci Clémence !

Et, absolument rien à voir, mais Clémence m’a parlé d’un calendrier de l’avent qu’elle avait trouvé (après beaucoup de recherches) pour son fils. Des marionnettes de doigts ! Original et ludique, et moins sucré que les calendriers Kinder (oops). J’adore. Je note, pour l’année prochaine.

Calendrier de l’avent

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Suite 702 : des couleurs séduisantes