Immersion dans une maison en Dordogne
Mes parents ont l'œil pour les belles choses. Mon père est photographe et, avec ses photos d’architecture, de paysages et d'intérieurs, ne cesse de faire l’éloge de la beauté du monde qui nous entoure. Ma mère vient d’une famille d’artistes et a toujours meublé ses maisons avec des pièces chinées. Quand on habitait à Los Angeles, elle passait tellement de temps chez Salvation Army que les mecs qui y bossaient lui mettaient de côté les pépites qui débarquaient. J’ai toujours vu que leur goût faisait mouche auprès des invités et je me suis vite rendue compte qu’il y avait, chez eux, un petit supplément d’âme qui flottait dans l’air.
Après 16 ans à Los Angeles puis 16 ans à Paris, ils décident de partir vivre en Dordogne en 2018. Je me souviens d’eux lisant la BD Le Retour à la Terre avant de déménager : mon père riait, ma mère pleurait*.
Bienvenue en Dordogne.
Pourquoi avez-vous été séduits par cette maison ?
Claire S : Le charme, tout de suite. Mon cœur a flanché dès que j’ai vu l’annonce sur leboncoin, et en particulier cette façade ocre jaune de la maison, exactement comme celle de ma maison de famille.
Quand nous l’avons visité, à l’intérieur, ce qui m’a tout de suite plu, c’est la hauteur sous plafond et la luminosité.
Eric S : Il y avait aussi du charme à l’extérieur, dans tous les alentours : les petits murs, les différentes parties de jardins, chacune avec différents niveaux, la cour intérieure. Quel que soit l’endroit où on est dans la maison, on est dehors.
Je cherchais justement une maison tournée vers l’extérieur, avec un bout de terre pour m’amuser dans la forêt et cueillir des champignons avec Claire. Et Claire voulait être proche d’une petite ville et dans un hameau, car elle ne voulait pas être isolée en pleine forêt avec les sangliers. On voulait des dépendances, pour pouvoir inviter des amis et de la famille. La maison cochait toutes les cases, il y avait tout ce que l’on recherchait.
Vous avez fait beaucoup de travaux, au fur et à mesure. Comment se sont-ils déroulés ?
E S : On voulait vivre dedans avant de toucher à quoique ce soit. On a donc vécu 6 mois sans rien faire, pour ressentir la maison et être sûr des changements qu’on allait entreprendre. Il faut savoir que la suite parentale était impeccable, elle avait été restaurée avec de beaux matériaux et les pièces principales étaient habitables et confortables. Donc nous n’étions pas particulièrement pressés.
C S : Les travaux ont ensuite commencé par le salon, car le plancher était vermoulu sur tous les bords des murs. On pouvait passer à travers ! Il a donc été démonté planche par planche numérotée puis remonté avec de nouvelles fondations : tout le schéma central est resté, en point de Hongrie et sur toute la périphérie, on a mis un nouveau plancher, mais teinté du même bois. Autour de la cheminée, comme le plancher avait brûlé, nous avons mis une grande plaque de fonte faite par un maître ferronnier. La plaque est plus grande que celles que l’on met d’habitude, et on adore le résultat. Ça donne un aspect design assez moderne.
E S : On aime aussi cette couleur rose poudrée sur les murs, que l’on a pour l’instant gardée. C’est un peu destroy, ça marche pas mal. On a aussi repeint les boiseries des fenêtres en ivoire : elles étaient couleur chêne vernis et on souhaitait leur donner plus d’éclat.
C S : Côté salle à manger, il y avait un rouge vermillon au mur, façon hacienda, mais le rouge me dérangeait, il était bizarrement posé. J’ai donc fait moi-même un jaune mat : après plusieurs essais et mélanges, je suis enfin arrivée à ce que je voulais. Nous avons aussi refait le plafond, que nous avons repeint en blanc ainsi que les poutres, en couleur mastic. Au sol, il y avait un vieux carrelage rouge années 60 que l’on a remplacé par des grandes dalles en pierre de Limeyrat-Dordogne (finition Chenonceau - Carriere Bon-Temps). C’est comme si elles avaient toujours été là.
Salle à manger avant
Salle à manger après
De la cuisine, proche de la salle à manger, on plonge sur cette jolie cour. Comment l’avez-vous conçue ?
C S : Nous voulions voir, toute l’année, de la verdure de la cuisine. On a donc tout repensé, tout enlevé et tout replanté. On a fait une bordure de plantes méditerranéennes, avec du romarin sur tout le pourtour du carré, et on a déposé quatre petites poteries aux quatre coins pour l’habiller. Ensuite on a mis de la lavande, des agapanthes, deux rosiers blancs asiatiques Rosa Rugosa, des Népéta, un peu de gaura, pour apporter un peu de légèreté et un côté aérien. On a aussi planté plein de bulbes, donc au printemps, fleurissent des narcisses, des alliums et des encolies sauvages.
Avant
E S : Ensuite, sur les murs on a planté du jasmin étoilé, qui reste vert toute l’année. Ça pousse bien, on les a planté il y a 4 ou 5 ans. Ça fleurit pendant un mois, ça sent divinement bon, c’est magique. On a aussi planté du chèvrefeuille sur les murs d’en face, qui est aussi parfumé.
Après
De l’autre côté de la cour, il y a une dépendance qui comprend une salle de bain et une “salle des fêtes”. Elle mène vers la piscine.
E S : La salle de bain vient d’être terminée, on l’a conçue au fur et à mesure en partageant nos idées avec Paolo, l’artisan maçon magicien : dès qu’il fait quelque chose, on a l’impression que ça a toujours été là. On était sur la même longueur d’onde, on voulait utiliser des vieux matériaux pour que ça se fonde dans le décor. Les murs ont été enduits à la chaux et au sable.
Avant
Après
Nous avons longtemps cherché ce que nous allions mettre au sol et nous avons fini par trouver ces beaux carrés de terre cuite, rosés, qui viennent de Millau dans l’Aveyron.
C S : Pour le lavabo, on a hésité entre une vasque et un lavabo ancien avec un pied et malgré nos recherches, on n’a rien trouvé sur le boncoin. On avait repéré dans le bas du jardin, un vieil évier de jardin, en pierre, qui ne servait pas. Paolo l’a poncé, nettoyé, imperméabilisé, on a refait un plus gros trou et voilà le résultat ! En dessous, on a mis des vieilles planches en chêne, parfaites pour le rangement et l’aspect authentique.
E S : Ensuite, juste à côté, notre salle des fêtes, qui était sans doute une ancienne cochonnière, était dans un très mauvais état. Au début, on s’en servait comme remise. On a décidé de faire des travaux 5 ans après notre arrivée.
La salle des fêtes: avec quelques grandes tables, se transforme en banquet géant
En habitant là, on s’est rendu compte que c’était une pièce que l’on voulait davantage exploiter, surtout l’hiver, pour faire une petite salle de ciné par exemple. Tout a donc été isolé et on a refait l’électricité et les murs. Bientôt, il y aura un insert ! En attendant, pour les beaux jours, on a décidé de faire un accès vers la piscine, on a donc rajouté une porte.
Lumière banane et jukebox trouvés en Californie, photo prise à Chaumont sur Loire, chaises d'une église locale qui changeait de mobilier, et le coq, le comte de la Poulardière
Il n’existait pas de piscine, vous avez décidé d’en faire construire une, compte tenu de la chaleur l’été ici
C S : Oui, et j’avais une idée très précise en tête. Je voulais que la piscine ressemble à un bassin, qu’elle soit assez foncée et qu’elle se marie parfaitement dans la nature. On ne pouvait pas la faire très grande, elle fait donc 9x4m et 1m50 de profondeur sur toute la longueur. Je voulais aussi que la margelle dépasse des deux côtés, côté piscine et côté herbe.
Pour le liner, j’étais un peu stressée. J’avais regardé 20 fois la couleur sur internet, mais on n’est jamais sûr du résultat, c’est toujours un pari ! Quand j’ai vu les piscinistes dérouler le liner, j’ai vu une couleur sac poubelle qui m’a donné un petit nœud au ventre… Finalement, c’est exactement ce que l'on voulait. Pfiou.. Puis, on a rajouté un mur en pierres sèches au-dessus, avec des plantes faciles à entretenir, qui restent belles toute l’année.
Avant
Après
Avez-vous des regrets concernant les travaux ou ce que vous avez fait ?
C S : Je regrette de ne pas avoir noté les mélanges de peinture, je suis incapable de retrouver le jaune que j’ai fait dans la salle à manger ! Comme je l’ai fait de manière spontanée, je n’ai pas été rigoureuse.
E S : On regrette également de ne pas avoir mis de prises dans le parquet du salon quand on l’a changé… Et une dernière chose, qui n’est pas un regret mais un point d’attention : il ne faut pas lésiner sur la lumière de l’extérieur, un bon éclairage, ça fait tout !
Revenons dans la maison principale. Racontez-moi un peu comment vous avez décoré votre maison.
E S : Notre salon reflète bien notre déco. C’est un mélange des styles, car on y trouve aussi bien une lampe industrielle Mazda, que du mobilier scandinave des années 50’s, des fauteuils anciens qui appartenaient à nos parents et un violoncelle… trouvé dans la rue ! Il n’y a presque rien de neuf chez nous, tout a été chiné !
C S : J’ai trouvé la table et les chaises scandinaves de la salle à manger à Los Angeles, quand nous y habitions. Tout comme les tables de salon, que j’ai majoritairement poncées et vernies. La coffee table par exemple, était bleue turquoise ! À l'époque, j'avais un petit business avec une amie : nous faisions les flea market de LA, puis de temps en temps, nous mettions en scène toutes nos trouvailles chez l’une ou chez l’autre et tout était à vendre, de la table au bibelot.
Quels objets sont particulièrement importants à vos yeux et pourquoi ?
C S : Le miroir au-dessus de la cheminée, je l’ai repéré il n’y a pas très longtemps sur le boncoin, j’ai mis 5 ans à le trouver !
E S : De manière générale, Claire met beaucoup de temps à trouver le bon objet déco ou le bon meuble. Mais quand elle trouve, elle a un goût très sûr !
C S : Le miroir très grand, de style Louis XV en bois et stuc doré est du XIXe. Avec son décor de godron et son fronton orné d’une coquille, le coup de cœur a été immédiat ! Tout y était, le style, la taille, la double courbure. Malheureusement, des éléments étaient manquants et j’ai proposé à la propriétaire de restaurer ce miroir en dupliquant les manques avec de la pâte Darwy (genre de pâte à modeler) puis d’appliquer une cire à assiette rouge puis à la cire dorée pour restaurer la dorure.
Le miroir est au mercure, l’astuce pour reconnaître un miroir ancien (antérieur à 1835) : vous mettez votre doigt contre le tain, si celui-ci est séparé de son reflet, il s’agit d’un miroir au mercure. La propriétaire, visiblement touchée par mon élan pour ce miroir et par mon futur travail de restauration a accepté mon offre inférieure au prix. Ravie, nous l’avons enveloppé et chargé dans notre voiture pour lui donner une nouvelle vie.
Il y a aussi cette sculpture, la danseuse de l’artiste Isabeau d’Abzac que j’aime particulièrement.
Tableau peint par Bruno Nini, lampe danseuse d'Isabeau d'Abzac, table chinée
E S : Lors d’un reportage à Tucson, Arizona, je suis tombé en arrêt devant cet appareil photo de 1905. Je l’ai acheté en 5 minutes, j’ai tout de suite été touché par la simplicité de son design. Il me suit partout.
Je tiens aussi beaucoup aux tableaux du salon, et plus précisément à 3 d’entre eux (deux Chardin et un Zurbaran) qui m'ont été offerts par Bruno Nini, un copiste du Louvre que j'avais photographié plusieurs fois pour des reportages. Il avait commencé à peindre à sa retraite et s'était pris de passion pour cette discipline. Il avait chez lui 140 copies de tableaux du Musée de Louvre. On s'était lié d'amitié et tous les ans, il me disait : "Monsieur Sander, c'est Noël, venez choisir votre tableau".
Nous rapportons aussi des objets de nos voyages, comme ces oiseaux en bois que nous avions repérés lors d’un reportage en Uruguay. La-bas, il y en avait beaucoup sur les centres de table des belles maisons que nous avions la chance de visiter : ils représentent les 25 oiseaux du pays. Ils ont été faits par un artiste local.
Oiseaux d'Uruguay et photo de la série "Coqs & Roll" d'Eric Sander
*À tous ceux qui s’inquiètent, Claire est très heureuse en Dordogne.
Pour aller plus loin :
Et vous, que voyez-vous de vos fenêtres ? Si vous n’aimez pas votre vue, vous pouvez toujours contempler celles de David Hockney dans son très beau livre My Window. L’artiste immortalise sa perception du monde depuis la fenêtre de sa maison anglaise. Chaque image décrit un instant et ensemble elles saisissent le temps qui passe, par le regard de Hockney.
J’aime ces chaises qui se fondent parfaitement dans le décor, les “filicudi chairs” du designer Marcantonio chez Yoyo Bischofberger, sur l’ile Filicudi justement (les îles éoliennes au large de la Sicile). Son jardin est sublime. Et je veux maintenant découvrir cette île sauvage de 300 habitants, qui n’a eu de l’électricité qu’en 1980. Pas vous ?
Toutes les photos de la maison en Dordogne ont été prises par mon père Eric Sander, photographe spécialisé dans les photos d’architecture d’intérieur, patrimoine, jardins et nature. L’une de mes séries préférées est celle accrochée dans leur salle des fêtes, Ciel et Mer. Mais bon il y a aussi la loufoque Coqs & Roll exposée chez Deyrolle et toutes les photos du Domaine de Chaumont-Sur-Loire. Il suffit de lui écrire pour avoir des renseignements sur les tirages, de superbes cadeaux à faire (trop tôt pour parler de Noël ?). @ericsanderphoto
Gesa Hansen, designeuse germano-danoise, a déménagé hors de Paris après que sa fille, petite citadine de 2 ans, s'est écriée, « Métro, maman ! », devant l’image d’un terrier dans une histoire sur les lapins.
Depuis, elle a sorti un livre avec deux amies, Coming home to nature, the french art of countryfication. Countryfication étant le nom du mouvement qu’elle a co-créé, un petit traité pour une vie bohème à la campagne.
L’appel de la forêt : je m’éloigne un peu de la déco pour vous conseiller ce livre, Natura, de Pascale d’Erm (Les liens qui libèrent) dévoré il y a quelques années. Si la rentrée fait un peu mal, ce livre pourrait l’adoucir (et vous donner envie de repartir).