Petite, sa chambre était blanche et elle avait la permission de tout peindre.
Isabelle de Borchgrave
Elle travaillait le papier comme personne.
Elle est connue pour ses robes en papier incroyables ou ses tableaux en papier plissé. On dirait du tissu. Énorme travailleuse, elle passait des années sur un projet sans savoir s’il allait plaire. Peu importe, c’est ce qu’on appelle la passion !
Isabelle de Borchgrave, artiste belge étonnante, a disparu en octobre, laissant derrière elle une collection incroyable d'œuvres en papier après avoir longtemps dessiné sur des tissus pour la déco et la mode.
Son univers coloré et singulier vaut bien une visite vidéo de son atelier-maison-galerie, son paradis. Pour y entrer, c’est juste ici.
11 choses sur son parcours et son état d’esprit qui valent le coup d’être notées, et partagées :
→ Petite, sa chambre était blanche et elle avait la permission de tout faire. Elle peignait ses murs, elle peignait partout. Parfois, elle accrochait une boîte à chaussures de sa mère dans laquelle elle faisait des petites scènes, des petites maisons. Et quand toute la chambre était remplie, ils vidaient tout et repeignaient en blanc. Une nouvelle page blanche prête à accueillir d’autres idées, personnages et histoires.
→ Elle arrête l’école à 14 ans, car elle s’ennuie. Elle prend trois ans de cours de dessin au fusain (couleur interdite) puis elle se lance à 17 ans en aménageant dans un mini atelier. Pour se le payer, elle fait un petit catalogue à la plume, qui rassemble tous ses dessins. Elle le distribue dans toutes les boîtes aux lettres de son quartier. Elle reçoit des commandes grâce à cette initiative : des cartes de Noël, des annonces de baptême, puis le journal Le Soir lui propose de dessiner une page par semaine. Depuis qu’elle avait trouvé son lieu, elle veillait à ce que son atelier-maison-galerie à Ixelles soit ouvert à tous (elle avait souffert du fait que, plus jeune, personne ne lui ait ouvert la porte). Dans sa grande cuisine ouverte sur un patio, elle cuisinait souvent des pâtes (plat aussi délicieux qu’efficace) et invitait, tous les jours, son équipe, son mari, ses enfants qui passaient par là, ses amis et parfois même les visiteurs restés plantés dans sa galerie devant tant de beauté. NB : L’immense atelier que vous voyez sur la vidéo, fait par l’architecte Claire Bataille, “architecte aussi zen et contemporaine que moi je suis baroque”, elle ne le doit qu’à la force du pinceau, à personne d’autre.
→ Son amour pour le papier. Si vous prenez un morceau d’or et que vous le taillez, c’est magique, mais ça parait inaccessible. “Un morceau de papier, en revanche, ce n’est rien. Si vous arrivez à le transformer et à lui donner une autre vie, c’est extraordinaire… Les gens se demandent : “C’est du papier ? Moi aussi je veux le faire, moi aussi je peux le faire !”. Si vous arrivez à transmettre l’envie de faire, vous avez gagné. Le papier est à tout le monde. Le papier vous éloigne de cette peur d'abîmer un support plus fragile.” Regardez ces kaftans comme ils sont beaux.
→ Elle a mis près de trois ans pour réaliser "Miradas de Mujeres (Regards de Femmes)", une exposition présentée aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique en 2022 et 2023. Un travail titanesque peint à la main, ayant nécessité plus de 4 kilomètres de papier et de carton pour réaliser robes, tapis, meubles, arbres et autres éléments reconstituant l’univers de Frida Kahlo et de sa maison, la Casa Azul. La prochaine fois que vous conduisez pendant 4 km en voiture, dites-vous qu’Isabelle a peint tout ça !
→ Le plissé est sa marque de fabrique. Pour avoir un tableau plissé d’un mètre il faut en peindre 4 mètres. Tout est généreux, rien n’est rétréci.
→ Matisse est son grand maître. Pas très original, elle concède. Mais il est essentiel pour elle parce qu’il avait le don de raconter comme un enfant. Il est l’un des seuls qui est arrivé à se débarrasser de l’inutile. En effet, “l’enfance c’est bien. Nous, on réfléchit trop. Ce qu’il faut, c’est de ne pas avoir envie de plaire”. “Lorsque Matisse dessine une feuille, une fenêtre ou un fauteuil, on a tout de suite l’impression qu’il fait 25 degrés dehors. Quand on n’a pas d’idée, qu’on est un peu sombre, un peu vide, on regarde les peintures de Matisse. Ça raconte tellement de choses qu’on a immédiatement envie de peindre.”
→ Côté couleurs, ses inspirations : 1) Le Carpaccio, avec ses fameux rouges uniques. 2) Piero della Francesca, pour ses couleurs délavées car sur des fresques. 3) Luis Barragán, un grand architecte mexicain, qui a fait des maisons comme un peintre. Un mur jaune, rose, un sol violet, des jaunes citron avec un orange pétant. 4) Les voyages, les pays qui vous poussent dans une couleur. Quand elle est rentrée d’Egypte, c’était le jaune. À Cuba, c’était le rose. En Afrique, le rouge foncé et le marron.
→ Elle travaillait avec une dizaine de personnes, qui n’utilisaient jamais l’ordinateur. “Sur Internet, il y a des choses magnifiques, mais je trouve ça bien plus puissant d’aller voir dans les livres et dans le jardin directement. Il y a 5 000 livres dans ma bibliothèque et dans les bois, dans le jardin, on rentre vraiment dans la feuille. Sur l'ordinateur, tout est plat. Et toutes les personnes qui vont chercher une feuille de chêne vont trouver la même chose. Dehors, je vais trouver une feuille de chêne qui a un trou, qui a un gland tombé dessus. Tout le monde peut avoir accès à tout, pourvu qu’on regarde !” Elle ne rentre jamais d’une balade sans les mains pleines. Chez elle, il y a des branches de mirabelle, de genêt, des bourgeons. Et un bouquet devient vite autre chose, comme un lustre.
→ Seul on n’est rien. “On a les réponses à travers les autres. Montrer son travail est horrible. Montrer c’est s’exposer. Le mot s’exposer est horrible aussi, c’est s’ouvrir de tout son corps et de son cœur. Mais si on ne se montre pas, on ne reçoit pas la critique et si on n'a pas la critique, on n’avance pas.”
→ Faire VS dire. “A notre époque, on est souvent dans le discours plutôt que dans le faire. Je pense qu’un grand artiste est un bon artisan. Au XVe siècle, on fabriquait soi-même ses couleurs, et pendant qu’on fabrique ses couleurs, on est déjà en train de peindre, puisqu’on fabrique. Lorsque les gens ont besoin de parler beaucoup pour expliquer un tableau ou un objet, ça ne m’intéresse pas. Je préfère quelqu’un qui dessine au trait une feuille.”
Détails de son cercueil sculpté et gravé